Publication datée du : 17/03/2023

La news RH #72

La news RH
#72 — 17 mars 2023

1

Faute grave : un procès-verbal de police ne constitue pas toujours une preuve recevable

Dans une décision du 8 mars 2023, la Cour de cassation a rappelé les règles de recevabilité des preuves illicites apportées en contentieux. 

Le principe juridique

Les preuves illicites peuvent être prises en compte par les juges et justifier un licenciement si elles respectent deux conditions découlant du principe fondamental du caractère équitable de la procédure et plus particulièrement du principe général de loyauté de la preuve :

  • leur production doit être indispensable à l'exercice du droit de la preuve de l'employeur d'une part, 
  • l'atteinte aux droits des salariés, si elle est établie, doit être proportionnée au but poursuivi, d'autre part.

En matière de licenciement, le caractère illicite des éléments de preuve entraîne la requalification de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse si ces deux conditions ne sont pas remplies ou si la partie qui les apportent au soutien de ses intérêts n'a pas justifié la production d'une preuve illicite par la nécessité de protéger le caractère équitable de la procédure.

L'affaire

En l'espèce, un salarié conducteur de bus avait été licencié pour faute grave par son employeur. Pour ce faire, ce dernier s'était appuyé sur un procès-verbal de police lequel constatait que le salarié avait fumé dans le bus et téléphoné au volant.

La difficulté soulevée auprès des juges résidait dans le fait que le procès-verbal, rédigé dans le contexte d'une affaire de vol de tickets de bus :

  • avait été dressé à partir de bandes vidéo recueillies par l'employeur en infraction à la charte de vidéoprotection en vigueur dans l'entreprise,
  • et avait été remis à l'employeur de manière informelle grâce à ses relations au sein des effectifs de la police.

Dans cette affaire, le procès-verbal en cause, seule preuve de la faute grave, était donc illicite.

L'employeur, qui n'avait par ailleurs pas invoqué le droit au procès équitable, ne pouvait donc pas s'en prévaloir, de sorte que le licenciement avait pu être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Toute preuve n'apporte donc pas la garantie d'une réussite prud'homale, quand bien même il s'agirait d'un PV de police.

Cass. Soc. 8 mars 2023 n°20-21848

2

Exemple de modification des fonctions ne donnant pas lieu à modification du contrat de travail

Cette affaire concernait un salarié cadre qui avait occupé les fonctions de vice-président business partners, avant de se voir confier les fonctions de business développement executive.

Le salarié contestait cette modification pour laquelle il n’avait pas donné son accord et soutenait que les nouvelles fonctions qui lui avaient été confiées auraient dû être soumises à son acceptation préalable dès lors :

  • que ses fonctions relevaient d'un niveau inférieur aux précédentes ;
  • qu’il avait été privé de tout management ;
  • qu’il ne bénéficiait plus d’une assistante à temps plein mais seulement à temps partiel ;
  • que dans la structure hiérarchique, il était désormais placé plus bas de deux degrés qu’auparavant ;
  • que plus aucun objectif chiffré ne lui avait été fixé et plus aucun budget de dépenses ne lui avait été dévolu.

Sur ce fondement, il avait pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur.

La Cour de cassation constate toutefois que la position du salarié était inchangée, qu'il n'avait subi aucune rétrogradation ni déclassification et qu'il avait conservé sa rémunération fixe.

La situation décrite ne constituait donc pas une modification du contrat de travail du salarié, de sorte qu’elle s’imposait au salarié et que sa prise d'acte devait avoir les effets d'une démission. 

Cass. soc. 25 janvier 2023, n° 21-18.141

3

Rappel des mentions obligatoires dans les CDD de renouvellement

Le contrat à durée déterminée (CDD) qui ne précise pas être un renouvellement peut être considéré comme un nouveau contrat, imposant alors le respect d’un délai de carence, même si le premier CDD contenait une clause de renouvellement.

La cour d’appel avait rejeté la demande du salarié en considérant que le second CDD constituait bien un contrat de renouvellement du premier puisque le premier contrat prévoyait expressément la possibilité d’un renouvellement et que le second contrat avait été signé avant l’arrivée du terme de ce contrat.

La Cour de cassation censure la décision des juges d’appel et considère que le CDD de renouvellement devait expressément le mentionner.

Les règles relatives à la rédaction de ces contrats sont strictes, il est indispensable de rester vigilant.

Cass. soc. 1er mars 2023, n° 21-20.431

4

Temps de trajet requalifié en temps de travail effectif : nouvelle illustration

Un précédent arrêt du 23 novembre 2022 avait reconnu que « lorsque les temps de déplacements accomplis par un salarié itinérant entre son domicile et les sites des premier et dernier clients répondent à la définition du temps de travail effectif [...], ces temps ne relèvent pas du champ d’application de l’article L. 3121-4 [du Code du travail] ».

Dans cet arrêt, le salarié, qui était un travailleur itinérant, utilisait son véhicule comme un bureau et, muni d’un kit mains libres, fixait des rendez-vous et conversait avec divers interlocuteurs (clients, directeur commercial, assistants, techniciens) dès qu'il entrait dans son véhicule en début de journée, jusqu'à son retour à son domicile. 

Dans une nouvelle affaire, un technicien avait opposé un argumentaire similaire à son employeur.

La cour d'appel avait rejeté la demande en considérant que les éléments avancés ne permettaient pas de requalifier le temps de trajet en temps de travail effectif : les opérations de maintenance étaient planifiées plusieurs semaines à l'avance et les opérations de réparation, qui pouvaient être programmées au dernier moment, ne le contraignaient pas à rester à la disposition de l’employeur.

Pour la Cour de cassation néanmoins, dès lors que « le salarié était soumis à un planning prévisionnel pour les opérations de maintenance et [...], pour effectuer ces opérations, il utilisait un véhicule de service et était amené à transporter des pièces détachées commandées par les clients », les éléments présentés par le salarié permettaient de supposer que les temps de trajet domicile/travail constituaient un temps de travail effectif.

Cass. soc. 1er mars 2023, n° 21-12.068

5

Egalité de traitement entre hommes et femmes

Une salariée peut-elle demander la communication de bulletins de paie non anonymisés de collègues masculins dans le cadre d'une affaire relative à l'égalité de traitement entre hommes et femmes ?

Oui, a précisé la Cour de cassation le 8 mars 2023.

L'affaire

Une salariée, qui avait successivement occupé deux postes dans deux entreprises d'un même groupe, considérait avoir subi une inégalité salariale par rapport à ses collègues masculins occupant ou ayant occupé ces postes.

Elle a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, aux fins d'obtenir la communication notamment des bulletins de paie de collaborateurs masculins précités.

En appel

En appel, les juges ont fait droit aux demandes de la salariée et ont notamment ordonné aux deux sociétés de communiquer les bulletins de paie de 8 salariés.

Avec cette particularité qu'ils avaient jugé que les données personnelles apparaissant sur les bulletins devaient être occultées à l'exception des noms, prénoms, de la classification conventionnelle, de la rémunération mensuelle et de la rémunération brute totale cumulée par année civile.

Pourvoi en cassation

Les deux sociétés ont formé un pourvoi en cassation sur le fondement :

  • D'une part du RGPD qui prévoit un droit à la protection des données personnelles au profit des individus dont les données sont collectées, en particulier par l'employeur et pour une certaine finalité ;
  • D'autre part les articles 6 et 8 de la CEDH lesquels doivent être combinés afin de permettre à la fois un droit à la preuve qui ne peut porter atteinte au droit à la vie privée des salariés que si la production des éléments concernés est indispensable et que l'atteinte est proportionnée au but poursuivi.

En particulier, les employeurs estimaient que la salariée avait déjà en sa possession un certain nombre de documents et d'éléments à produire au soutien de sa demande (rapports égalité hommes / femmes, écarts de rémunération, index de l'égalité hommes/femmes).

La Cour de cassation confirme l'arrêt d'appel :

  • Sur le RGPD, elle considère que le droit à la protection des données à caractère personnel n'est pas un droit absolu et qu'il doit être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux (droit au recours effectif, tribunal impartial) ;
  • Par ailleurs, la Haute Cour rappelle que si la production d'éléments peut être décidée, le juge doit vérifier si les mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et si elles sont proportionnées au but poursuivi eu égard à l'objectif de l'article 145 du CPC (conserver ou établir des preuves avant le procès) et à l'atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, et, doit, le cas échéant, cantonner le périmètre de production des pièces, ce qui avait été fait, en l'espèce, en appel.

Cass. Soc. 8 mars 2023 n° 21-12.492

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