Harcèlement : comment conduire une enquête interne ?

L'enquête interne est un processus mis en œuvre par une entreprise pour déterminer si des suspicions de violation de ses règles internes ou de la législation en vigueur sont fondées. Elle vise à établir avec certitude les faits allégués par une personne, pour permettre à l'entreprise de prendre les mesures appropriées.

En droit du travail, les sujets les plus récurrents pouvant amener un employeur à mettre en œuvre une enquête interne sont les dénonciations de situations de harcèlement moral, harcèlement sexuel, discrimination, ou encore de souffrance au travail.

A l’origine, ces enquêtes étaient rares et réservées aux groupes dont la culture internationale faisait qu’ils étaient plus familiers avec ce type de process. L’évolution de la jurisprudence et des obligations mises à la charge des entreprises en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés a modifié les pratiques en la matière et sont désormais mises en œuvre dans tous les types d’entreprises.

De plus en plus fréquentes, les enquêtes internes se sont transformées en un processus plus structuré, qui implique un certain nombre de questions juridiques essentielles, dans un objectif principal : en cas de suite contentieuse, il faut que le rapport d'enquête soit jugé recevable par le juge pour permettre à un employeur de démontrer la véracité des griefs retenus à l’encontre d’un salarié et justifier les mesures prises.

Pourquoi et quand mener une enquête interne dans l’entreprise ?

Lorsqu'un employeur reçoit une allégation de harcèlement moral ou de souffrance au travail par exemple, il doit impérativement mener une enquête interne.

Même s’il ne s’agit pas d’une obligation prévue par le Code du travail, elle est désormais exigée par la Cour de cassation depuis ces dernières années (Cass soc, 27 novembre 2019 n°18-10.551).

A défaut, il est probable qu’en cas de contentieux, les juges considèrent que l’employeur n’a pas pris toutes les mesures pour protéger la santé et la sécurité de ses salariés.

Quel est l’objectif de l’enquête interne ?

L'enquête interne a vocation à aider l’employeur à vérifier la véracité des faits dénoncés, qualifier les faits au sens juridique du terme, et, enfin, déterminer si une action disciplinaire est nécessaire.

Elle permet également à l'employeur de recueillir des témoignages ou d'autres preuves, qui pourront ensuite être utilisés en justice et qui permettent de justifier la pertinence et la proportionnalité des mesures prises à l’égard des salariés concernés par les faits. (Cass. Soc. 29 juin 2022 n°21-11437)

Aspect essentiel de la relation de travail, l’enquête permet également à l’employeur de respecter son obligation de prévention des risques professionnels, en montrant que la Direction a pris la situation au sérieux.(Article L.4121-1 du Code du travailCass. Soc. 6 juillet 2022 n°21-13631)

Un objectif majeur : réduire les risques contentieux.

Il résulte de la jurisprudence actuelle que les employeurs qui mènent des enquêtes internes sont plus facilement considérés comme ayant apporté un "traitement adéquat" à la situation. Naturellement, cela suppose également d’avoir respecté certaines règles de forme et de fond essentielles.

En revanche, les employeurs qui ne mènent pas d'enquête interne ou qui le font trop tard peuvent être considérés, en cas de contentieux, comme ayant gravement manqué à leurs obligations, justifiant ainsi la rupture du contrat de travail à leur tort exclusif.

La réaction doit être rapide et les délais doivent être maîtrisés !

La mise en œuvre d’une enquête interne suscite des questions cruciales en matière de délais.

En effet, si l’employeur ne peut pas sanctionner un salarié pour des faits fautifs dont il a eu connaissance plus de deux mois auparavant, il est toutefois exigé par la jurisprudence qu’il a une connaissance précise de l’ampleur de la situation avant de notifier une éventuelle sanction. Dans ces conditions, l’enquête va évidemment apparaître nécessaire, voire même indispensable lorsque les faits sont complexes.

Dans ce cadre et lorsque les circonstances de faits nécessitaient de déclencher une telle enquête, le délai de deux mois ne commencera à courir qu’à compter de ses résultats, ce qui permettra à l’employeur d’avoir une connaissance exacte de la situation dénoncée.

Dans le même temps, l’employeur doit réagir rapidement aux allégations qui lui sont rapportées et mener l'enquête interne sans délai. Pas question de perdre du temps !

C’est pourquoi il faut savoir s’entourer rapidement d’un professionnel qui maîtrise le processus et qui pourra sécuriser ces points.

Les conditions à respecter pour mener une enquête interne en toute conformité

L’employeur détient une certaine liberté dans la forme et le déroulement de l’enquête.

En effet, rien n’est encadré par le Code du travail et un travail jurisprudentiel est en cours pour définir ce qui est autorisé, ou non, dans le cadre des enquêtes. Pour autant, au fil des années, il est possible de dégager des règles et les contours de ce qui peut être considéré comme acceptable, ou non, par les juges.

En pratique, tout dépendra également des ressources potentielles, des personnes impliquées, et du contexte global de l’entreprise.

La réalisation de l’enquête

L'enquête peut être menée de plusieurs façons.

Certains employeurs choisissent de mettre en place une commission d'enquête pour garantir l'objectivité de l'enquête. D'autres peuvent confier l'enquête à un cabinet extérieur spécialisé en risques psychosociaux ou en droit social d'entreprise. Enfin, un membre du Comité Social et Économique (CSE) peut également mener l'enquête en cas d'atteinte aux droits des salariés, à leur santé physique ou mentale ou à leurs libertés individuelles.

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Quelle que soit la méthode choisie pour mener l'enquête, l'employeur a la responsabilité de décider des suites à donner au rapport d'enquête. La sanction disciplinaire ne peut être appliquée que si les faits de harcèlement ont été établis de manière suffisamment clairs et précis.

Ne pas oublier la victime présumée ! : Pendant une enquête, l’attention se focalise surtout sur les faits dénoncés et la recherche de la vérité. Il ne faut pas pour autant en oublier le salarié qui a dénoncé ces faits et qui doit être placé « hors de danger ». S’il occupe encore son poste et n’est pas, par exemple, placé en arrêt pour maladie, il convient de lui proposer des mesures appropriées (mutation, dispense d’activité, etc.), afin de faire cesser la situation au moins temporairement, le temps que l’enquête se termine et que les conclusions aboutissent à la qualification, ou non, de la situation dénoncée. Le temps viendra ensuite de trouver, avec lui, d’éventuelles solutions plus pérennes.

Les principes directeurs

Dans tous les cas, l'enquête doit être menée de manière juste, impartiale et conforme à la législation en vigueur.

Il est ainsi essentiel de respecter les principes de :

  • confidentialité : les situations dénoncées impliquent parfois des détails de la vie personnelle ou intime des salariés concernés et peuvent avoir un impact retentissant sur leur situation professionnelle (quelle que soit l’issue d’une dénonciation) ;
  • neutralité et impartialité : une enquête ne pourra pas être considérée comme étant objective et sérieuse si les enquêteurs ont été impliqués plus ou moins directement dans les faits dénoncés ou peuvent avoir un intérêt à voir la situation se dénouer d’une manière ou d’une autre ;
  • loyauté : les méthodes utilisées pour réaliser l’enquête doivent être respectueuses de l’ensemble des parties, notamment en matière de transparence sur l’utilisation faite des données, le caractère non obligatoire de l’enquête, etc.

Bien évidemment, il est également indispensable que l’enquête se déroule dans des conditions d’investigations licites. (Conseil d’Etat 2 mars 2020 n°418640)

Le process en tant que tel

L’enquête sera réalisée par le biais d’entretiens qui seront conduits par l’enquêteur dans le respect des règles énoncées ci-dessus.

A noter que l'enquête interne n'a pas à respecter le principe du contradictoire, qui est une règle qui ne s'applique qu'à la phase judiciaire de l'affaire : le salarié concerné par les accusations de harcèlement peut ne pas avoir été informé préalablement et ne pas non plus être entendu lors de l'enquête (Cass soc, 17 mars 2021 n°18-25.597).

De la même manière, la liste des personnes entendues dans le cadre de l’enquête est définie par l’employeur qui n’a pas d’obligation particulière à cet égard (à condition que chaque décision prise d’entendre ou de ne pas entendre tel ou tel salarié soit justifiable objectivement). Il n'est ainsi pas nécessaire que l'employeur entende tous les collègues du salarié visé pour démontrer l’existence d’un harcèlement moral, tant que les témoignages recueillis sont suffisamment probants. (Cass. Soc. 8 janvier 2020, n° 18-20151 ; Cass. Soc. 29 juin 2022, n° 21-11437)

Calendrier prévisionnel, teneur des questions à poser, acteurs à associer à l’enquête, liste des personnes à interroger, particularités à anticiper (arrêt maladie, etc.) : l’assistance d’un avocat est indispensable à ce stade, tant il existe de questions à se poser en amont de cette phase.

Le rapport d’enquête

Après avoir recueilli toutes les informations, les auditions et les déclarations, l’enquêteur analyse l’ensemble des données collectées et rédige un rapport écrit qui servira de support à l’employeur pour prendre une décision.

Le rapport pourra être transmis, ou non, à l’ensemble des parties prenantes (Cass soc, 18 février 2014 n°12-17.557 – le salarié considéré comme auteur des faits n’ayant aucun droit à obtenir la communication de pièces justifiant les reproches qui lui sont faits, y compris au stade de l’entretien préalable).. 

Les suites de l’enquête : la prise de décision

Si la situation dénoncée est reconnue, la décision prise par l’employeur au regard de ce rapport peut aller de la prise de mesures correctives pour remédier à la situation, comme une formation supplémentaire sur le harcèlement pour tous les employés, jusqu'à des sanctions disciplinaires à l'encontre du harceleur présumé.

Ces sanctions peuvent aller de l'avertissement au licenciement, selon la gravité des faits.

Il est crucial que l’employeur n’oublie pas la victime dans tout cela et l’informe de la décision et des éventuelles mesures prises.

Il devra également continuer à surveiller la situation pour s’assurer que le harcèlement ne se répète pas : maintenir un environnement de travail sûr et respectueux, ou encore veiller à ce que la victime ne subisse pas de représailles. Le suivi peut également impliquer des vérifications régulières auprès de la victime de son état de santé et lui proposer, le cas échéant, des ressources particulières comme l'accès à un soutien psychologique, si nécessaire.

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