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Une preuve obtenue de manière déloyale n'est plus nécessairement irrecevable devant le juge civil
Dans deux décisions rendues le 22 décembre 2023, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation s'est positionnée quant à la recevabilité des preuves obtenues de façon déloyale.
Par ces deux décisions, elle abandonne sa jurisprudence constante depuis 2011 selon laquelle une preuve obtenue de manière déloyale, grâce à un stratagème ou une manœuvre notamment, doit être déclarée irrecevable par le juge civil.
Dans la première affaire, un salarié avait été licencié pour faute grave. Afin de démontrer le bien-fondé du licenciement, l’employeur produisait des enregistrements clandestins d’un entretien au cours duquel le salarié avait tenu des propos injurieux.
La cour d'appel avait écarté des débats les enregistrements ainsi obtenus et avait jugé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse. L'employeur, quant à lui, considérait que ces derniers étaient recevables dès lors qu'ils ne portaient pas atteinte aux droits du salarié, qu'ils étaient indispensables au droit à la preuve et à la protection de ses intérêts et qu'ils avaient été transmis dans le cadre d'un procès équitable.
Saisie, la Cour de cassation juge qu'en application de l'article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les juges doivent procéder à un contrôle de proportionnalité entre les droits en présence.
Elle pose un fondement de portée générale : "Il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi."
La Cour de cassation renvoie l'affaire à une autre cour d'appel.
Dans la seconde affaire, un salarié avait été licencié pour faute grave pour avoir sous-entendu que la promotion dont avait bénéficié son remplaçant était liée à son orientation sexuelle et à celle de leur supérieur hiérarchique. Ces propos avaient notamment été démontrés par un extrait de conversation Facebook, relevée sur l'ordinateur professionnel du salarié en cause.
La cour d'appel juge que la conversation Facebook doit être écartée des débats et que le licenciement, en l'absence d'autre preuve de la faute, est sans cause réelle et sérieuse.
Saisie de cette affaire, la Cour de cassation rappelle que le licenciement disciplinaire n'est possible, pour un motif en lien avec la vie personnelle du salarié, que si celui-ci constitue un manquement à ses obligations professionnelles. S’agissant d’une conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique, elle ne pouvait pas constituer un manquement du salarié aux obligations contractuelles découlant du contrat de travail, de sorte que le licenciement n’était pas justifié quelle que soit la valeur de la preuve soumise par l'employeur.
Si la seconde affaire ne statue pas sur la recevabilité en tant que telle de la preuve apportée par l'employeur, la première affaire constitue, à n'en pas douter, un tournant en matière de contentieux social.
Cass. Plén., 22 décembre 2023, n°20-20.648
Cass. Plén., 22 décembre 2023, n°21-11.330
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