Les questions à se poser pour bien gérer l’inaptitude en entreprise

L'inaptitude au travail est définie comme l'incapacité d'un travailleur à exercer son emploi en raison de sa santé physique ou mentale.

Les avis d’inaptitude font le plus souvent suite à des situations de santé déjà complexes à traiter pour les employeurs. Puis, lorsque l’inaptitude est constatée, il convient de mettre en œuvre une procédure rigoureuse et parfois délicate qui engendre le plus souvent des questions à la fois juridiques et pratiques, et exposent l’employeur à des condamnations financières non négligeables en cas de mauvaise application ou d’application erronées des dispositions liées à la procédure d’inaptitude.

Quelles mesures prendre en amont pour limiter les constats d’inaptitude ? comment bien gérer la procédure pour limiter les risques de contentieux par la suite ? Quelles sont les sanctions et les conséquences financières possibles de constats d’inaptitude ?

Telles sont les questions auxquelles il convient de savoir répondre lorsque l’on est employeur, afin de gérer au mieux l’inaptitude en entreprise.

Envie d’en savoir plus ? Regardez le replay de notre webinar spécial « inaptitude » ici.

Qu’est-ce que l’inaptitude ?

L’inaptitude au travail est l’incapacité reconnue du salarié à occuper son poste en raison de son état de santé.

Elle est prévue à l’article L.4624-4 du Code du travail, lequel stipule que le salarié est déclaré inapte à son poste si le médecin du travail constate :

  • Qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible,
  • Et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste.

L’inaptitude peut être d’origine professionnelle (c’est-à-dire faisant suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle) ou non.

Quand l’inaptitude est-elle constatée ?

L’inaptitude est constatée à la suite de tout type de visite médicale, soit à l’issue d’un arrêt maladie lors de la visite de reprise par exemple, ou bien à l’occasion de tout autre examen médical dans le cadre de l’exécution du contrat (Cass. soc., 7 juill. 2016, n° 14-26.590).

Attention ! Certaines visites ne peuvent pas donner lieu à un constat d’inaptitude ; il s’agit notamment des visites d’information et de prévention qui doivent avoir lieu à l’embauche du salarié. En effet, ces visites ne sont pas considérées comme des examens médicaux en tant que tels et n’ont pas vocation à vérifier l’aptitude du salarié à son poste de travail (Code du travail et Q/R du Gouvernement).

Par qui l’inaptitude peut-elle être reconnue ?

L’inaptitude relève de la compétence exclusive du médecin du travail. Lui seul peut la constater.

Aux termes du Code du travail, le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude qu’après trois étapes obligatoires :

  • Après avoir réalisé au moins un examen médical du salarié, (ou deux examens si le médecin du travail le juge nécessaire, sous 15 jours trav. art. R4624-42),
  • Après avoir procédé ou fait procéder à une étude de poste et avoir réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement,
  • Après avoir échangé préalablement avec le salarié et l'employeur.

Comment se matérialise l’inaptitude ?

Le constat d’inaptitude se matérialise par la délivrance, par le médecin du travail, d’un CERFA dédié.

Le médecin du travail doit en outre présenter ses conclusions écrites au salarié et à l’employeur dans lesquelles il doit donner des indications relativement au reclassement du salarié et sur l’aptitude du salarié à bénéficier d’une formation destinée à lui proposer un poste adapté.

L’avis d’inaptitude est transmis au salarié et à l’employeur par tout moyen lui procurant une date certaine.

L’avis s’impose-t-il à l’employeur ?

Oui, l’avis d’inaptitude s’impose à l’employeur. Ce dernier peut théoriquement refuser de l’appliquer en fournissant un écrit expliquant les motifs de son refus au salarié et au médecin du travail.

Cette règle, prévue à l’article L.4624-6 du Code du travail, n’est en revanche pas réellement applicable en pratique dans la mesure où l’employeur se doit de faire en sorte de respecter les préconisations du médecin du travail et n’est qu’en de très rares occasions en mesure de refuser l’avis qui lui est donné.

La seule marge de manœuvre éventuelle sera de discuter les préconisations du médecin en matière de reclassement pour tenter de les adapter si toutefois elles n’étaient pas compatibles avec l’organisation en interne.

En cas de contestation de l’avis, un recours peut être engagé (Q/R du Gouvernement).

Que recouvre l’obligation de reclassement ?

Lorsqu'un travailleur est déclaré inapte à son poste de travail, l'employeur doit rechercher des solutions pour le reclasser dans un autre poste compatible avec son état de santé ; le poste doit être compatible avec ses capacités physiques et mentales telles que définies par le médecin du travail dans son avis et ses préconisations (C. trav. art. L. 1226-2 et L. 1226-10).

Trois conditions / étapes doivent être remplies pour que l’employeur soit considéré comme ayant respecté ses obligations en matière de recherches de reclassement :

  • Les recherches doivent être réalisées en tenant compte des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur la capacité du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise ;
  • Le poste doit être aussi comparable que possible au poste précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles qu'aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ;
  • Tout poste de reclassement ne peut être proposé qu’après avis du CSE, si l’entreprise en est dotée ;

Existe-t-il des situations dans lesquelles l’employeur n’a pas à rechercher un poste de reclassement ?

L’employeur est en effet parfois dispensé de recherches de reclassement.

Il existe, d’une part, deux cas légaux de dispense, prévus à l’article L.1226-2-1 du Code du travail :

  • Soit parce que le médecin a indiqué dans le CERFA que tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ;
  • Soit parce que le médecin a indiqué dans le CERFA que l’état de santé fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi.

Une autre exception est également prévue lorsque le salarié est en contrat d’apprentissage.

Cette mention doit être expressément rappelée dans la lettre de licenciement en cas de licenciement pour inaptitude (cf. notre article sur ce point).

Dans quel périmètre les recherches de reclassement doivent-elles être réalisées ?

Deux périmètres différents sont imposés selon que l’entreprise appartient à un groupe, ou non :

  • 1ère hypothèse : lorsque l’entreprise appartient à un groupe, l'employeur doit rechercher un autre emploi «au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ».

A noter

Seules les entités appartenant au groupe à la date du licenciement sont concernées. (Cass. soc. 14 décembre 2022, n° 21-18524).

Un groupe de reclassement est constitué par le CSE, employeur du salarié, et l’entreprise au sein duquel il a été constitué. (Cass. soc. 8 février 2023, n°21-11356).

  • 2ème hypothèse : l’entreprise n’appartient pas à un groupe, le reclassement doit être recherché parmi les emplois disponibles dans l'entreprise, dans tous les secteurs de l'entreprise, au sein de tous les établissements de l'entreprise.

Dans les deux cas, l’obligation de reclassement est limitée au territoire français (C. trav., art. L. 1226-2 / L. 1226-10).

Quelles caractéristiques le poste de reclassement doit-il remplir ?

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations du poste de travail ou aménagement du temps de travail.

Tous les postes disponibles en rapport avec les aptitudes et les compétences du salarié, le cas échéant après une formation complémentaire, doivent être proposés au salarié.

A noter !

L’obligation de reclassement ne couvre pas le poste qui nécessite une formation de base différente et relevant d'un autre métier (Cass. soc., 16 mars 2016, n° 13-25.927) mais, en revanche, couvre les postes disponibles même temporairement (Cass. soc., 10 févr. 2016, n° 14-16.156) – les CDD (Cass. soc., 4 sept. 2019, n°18-18.169).

Si l'employeur ne peut offrir qu'un poste de reclassement comportant une modification du contrat, il doit en faire la proposition au salarié qui est en droit de refuser (Cass. soc., 17 févr. 2010, n° 08-43.725).

Quand et comment le CSE doit-il être consulté ?

L’information/consultation des élus est systématique et nécessairement préalable à l’envoi des propositions de reclassement, en application des dispositions de l’article L. 1226-10 du Code du travail. La consultation se fait au niveau de l’établissement dans lequel le salarié travaille (Soc. 13 nov. 2008, n° 07-41.512).

Le CSE doit être consulté, même en cas d’impossibilité de reclassement en raison de l'absence de postes disponibles (Cass. soc., 30 sept. 2020, n°19-16.488). Le CSE sera alors consulté sur l’absence de postes disponibles compatibles avec la situation du salarié.

Les seules hypothèses dans lesquelles l’employeur est dispensé de consulter le CSE sont prévues lorsqu’il est dispensé de reclassement par le médecin du travail (Cass. Soc., 8 juin 2022, n°20-22.500).

Le licenciement du salarié inapte est-il inévitable ?

Non, le licenciement du salarié inapte peut être évité lorsqu’un poste de reclassement est accepté par le salarié ! Dans ce cas, le salarié doit signer un avenant à son contrat de travail et l’employeur doit s’assurer, bien évidemment, que ce dernier est apte à son nouveau poste.

Néanmoins, si aucune solution de reclassement n'est trouvée, l'employeur peut procéder au licenciement pour inaptitude du salarié, du fait de l’impossibilité de reclassement, du refus du salarié du poste proposé compatible avec les préconisations du médecin ou compte tenu de la dispense de recherche de reclassement compte tenu de l’avis par le médecin du travail.

A noter : le salarié en CDD peut également voir son contrat rompu de manière anticipée.

Quelle est la procédure de licenciement pour inaptitude ?

En cas d’impossibilité de proposer un poste de reclassement, l’employeur doit énoncer les motifs de cette impossibilité par écrit, avant d’engager la procédure de licenciement.

Ensuite, la procédure de licenciement peut être engagée ; celle-ci est identique à celle des licenciements pour motif personnel. Le salarié protégé devra, compte tenu de son mandat, bénéficier de la procédure spéciale prévue en sa faveur.

La rédaction de la lettre de licenciement reste une étape risquée de la procédure de licenciement pour inaptitude. En effet, l’employeur doit impérativement indiquer que le salarié est licencié pour inaptitude et en raison de l’impossibilité de le reclasser ou en raison de la dispense de recherche de reclassement. A défaut, le licenciement peut être considéré comme privé de cause réelle et sérieuse, quand bien même la procédure aurait été suivie par l’employeur et le licenciement serait justifié sur le fond. (Cass. Soc. 23 mai 2017, n°16-13.222 ; Cass. soc. 3-6-2020 n° 18-25.757).

Le licenciement ne donne pas droit au bénéfice d’un préavis.

Et financièrement, quels sont les droits du salarié ?

Pendant le premier mois à la suite de la constatation de son inaptitude, le salarié ne perçoit aucune indemnité, ni aucun salaire, sauf lorsque l’inaptitude est d’origine professionnelle, qui donne droit à une indemnité temporaire d’inaptitude pendant cette période, conformément à l’article D. 433-5 du Code de la sécurité sociale.

A l’issue d’un mois, le salarié inapte qui n’est ni reclassé, ni licencié, a droit au versement de son salaire quand bien même il n’est plus en mesure de reprendre son poste (articles L. 1226-4 et L. 1226-11 du Code du travail).

Lorsque l’inaptitude n’est pas d’origine professionnelle, le salarié licencié bénéficie d’une indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (selon son ancienneté). En revanche, sauf disposition contraire, aucune indemnité compensatrice de préavis ne lui est due.

Lorsque l’inaptitude est d’origine professionnelle, le salarié a droit à :

  • une indemnité spéciale de licenciement dont le montant est égal au double de l’indemnité légale de licenciement, si celui-ci est supérieur à l’indemnité conventionnelle, conformément aux dispositions de l’article par l'article L.1234-9 du Code du travail.
  • une indemnité équivalente à l’indemnité compensatrice de préavis ( trav., art. L.1226-14).
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