Le dispositif de portabilité de la prévoyance en cas de liquidation judiciaire : attention danger !

Introduit par la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, le dispositif de portabilité permet aux anciens salariés de bénéficier du maintien à titre gratuit de la couverture collective en cas de cessation du contrat de travail.

Ce dispositif, depuis quelques années, a fait l’objet de nombreuses interrogations. En particulier, la question s’est posée de savoir quelle était la situation d’un salarié dont le contrat est rompu à la suite de la liquidation judiciaire de son employeur.

Ce dispositif est garanti à l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale aux termes duquel :

« Les salariés garantis collectivement, dans les conditions prévues à l'article L. 911-1, contre le risque décès, les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d'incapacité de travail ou d'invalidité bénéficient du maintien à titre gratuit de cette couverture en cas de cessation du contrat de travail, non consécutive à une faute lourde, ouvrant droit à prise en charge par le régime d'assurance chômage, selon les conditions suivantes :

1° Le maintien des garanties est applicable à compter de la date de cessation du contrat de travail et pendant une durée égale à la période d'indemnisation du chômage, dans la limite de la durée du dernier contrat de travail ou, le cas échéant, des derniers contrats de travail lorsqu'ils sont consécutifs chez le même employeur. Cette durée est appréciée en mois, le cas échéant arrondie au nombre supérieur, sans pouvoir excéder douze mois ;

2° Le bénéfice du maintien des garanties est subordonné à la condition que les droits à remboursements complémentaires aient été ouverts chez le dernier employeur ;

3° Les garanties maintenues au bénéfice de l'ancien salarié sont celles en vigueur dans l'entreprise ;

4° Le maintien des garanties ne peut conduire l'ancien salarié à percevoir des indemnités d'un montant supérieur à celui des allocations chômage qu'il aurait perçues au titre de la même période ;

5° L'ancien salarié justifie auprès de son organisme assureur, à l'ouverture et au cours de la période de maintien des garanties, des conditions prévues au présent article ;

6° L'employeur signale le maintien de ces garanties dans le certificat de travail et informe l'organisme assureur de la cessation du contrat de travail mentionnée au premier alinéa.

Le présent article est applicable dans les mêmes conditions aux ayants droit du salarié qui bénéficient effectivement des garanties mentionnées au premier alinéa à la date de la cessation du contrat de travail. »

A noter que l’ouverture d'une procédure collective ne peut, à elle seule, justifier une résiliation du contrat ou de l'adhésion de l'entreprise, en dehors de l'échéance annuelle ou de la procédure légale pour défaut de paiement. En revanche, une fois l'entreprise liquidée, plus aucune garantie n'est en vigueur, le contrat d'assurance étant, de fait, résilié faute de souscripteur.

Un dernier arrêt du 15 février dernier est venu se positionner de nouveau sur ces sujets.

1/ Un peu d’histoire

En raison de nombreuses questions autour de l’application d’un tel dispositif dans le cadre d’une liquidation judiciaire, la Cour de cassation a rendu 5 avis (n°17013 à 17017) le 6 novembre 2017, dans lesquels elle indiquait que ce dispositif était applicable aux anciens salariés d’un employeur placé en liquidation judiciaire remplissant les conditions énoncées par ce texte. Elle précisait que le maintien restait cependant subordonné à ce que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié.

En l’absence de précision, le Gouvernement devait exposer, dans un rapport, les conditions de mise en œuvre du maintien des garanties dans une telle situation (notamment le financement) ; lequel n’a jamais été déposé au Parlement.

Ces règles ont ensuite été appliquées par la Cour de cassation en 2018. (Cass civ 2ème, 18 janvier 2018, n°16-27.332)

La Cour de cassation rappelait, dans cette décision, l’essence même du texte :

« si ce texte n'exclut pas expressément de ce dispositif protecteur les salariés dont l'entreprise a été déclarée en liquidation judiciaire, il exige toutefois, pour le maintien à titre gratuit de la couverture santé et prévoyance, que 'les garanties maintenues au bénéfice de l'ancien salarié sont celles en vigueur dans l'entreprise' (article L.911-8, alinéa 1, 3° ) ; que cette condition, posée en 2013, implique d'une part, la poursuite du contrat d'assurance et d'autre part, l'existence de l'entreprise bénéficiaire des garanties santé et prévoyance afin d'assurer à l'assureur le paiement des cotisations dues, étant relevé que l'article 4 de la loi du 14 juin 2013 prévoit précisément, pour pallier l'exclusion de cette catégorie de salariés, que 'le gouvernement [remettra] au parlement, avant le 1er mai 2014, un rapport sur les modalités de prise en charge du maintien des couvertures santé et prévoyance pour les salariés lorsqu'une entreprise est en situation de liquidation judiciaire ; que rapport [présentera] notamment la possibilité de faire intervenir un fonds de mutualisation, existant ou à créer, pour prendre en charge le financement du maintien de la couverture santé et prévoyance lorsqu'une entreprise est en situation de liquidation judiciaire, dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article L. 911-8 du code de la sécurité sociale ; ».

Dans le but de pallier cette carence, la Cour de cassation ajoute une condition pécuniaire sur l’usage du dispositif de portabilité de la prévoyance dans le cadre d’une liquidation judiciaire en sus de la condition de validité du contrat :

« qu'il se déduit de la combinaison de ces textes et des travaux préparatoires à l'Assemblée nationale de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 que le maintien à titre gratuit, au profit d'un salarié licencié, des garanties santé et prévoyances visées par l'article L. 911-8 du code de la sécurité sociale ne peut recevoir application postérieurement à la liquidation judiciaire qui entraîne la cessation immédiate, sauf autorisation judiciaire de poursuite, de l'activité de l'entreprise et ce en l'absence, à la date à laquelle la présente cour statue, d'un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance pour les salariés licenciés du fait de la liquidation judiciaire de leur employeur ; ».

Ce qui justifie cette prise de position de la Cour de cassation, est le problème sous-jacent de la mutualisation du risque. La portabilité des garanties des anciens salariés doit en principe être prise en charge par l’entreprise « in bonis », par les contributions versées par l’employeur et les salariés. Or, dans le cadre d’une liquidation judiciaire, la mutualisation du risque ne peut plus s’opérer dès lors que l’activité cesse et que tous les salariés sont susceptibles d’être licenciés ; ce qui peut se produire dès l’ouverture de la procédure de liquidation.

Dans une réponse ministérielle du 14 mai 2020 (rép. Min. n°504, JOAN Q 14 avril 2020 p. 2816), le ministère des Solidarités et de la Santé a repris ces dispositions :

« En l’absence de contrat collectif produisant des effets, le dispositif n’est plus financé et ne peut être mis en œuvre au bénéfice des anciens salariés […] l’absence de dispositif de financement constitue un obstacle au maintien à titre gratuit des garanties collectives au profit d’un salarié licencié »

Toutefois, dans un arrêt du 5 novembre 2020 (Cass civ 2ème,  5 novembre 2020, n°19-17.164), la Cour de cassation limitait finalement la portée de son arrêt du 18 janvier 2018. Par son pouvoir d’appréciation souverain, elle réalisait une interprétation stricte de l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale ; dispositions qui sont d’ordre public.

« La loi ne subordonnait la portabilité des droits au profit des salariés licenciés qu’à l’existence et l’application d’un contrat collectif de complémentaire au jour où le licenciement du salarié est intervenu et ne créé qu’une seule exclusion au bénéfice de la faute lourde ».

Ainsi, « le caractère d‘ordre public de ce texte ne permet pas à la société […] de déroger contractuellement aux conditions légales qu’il édicte ; ».

Bien qu’en liquidation judiciaire, une société bénéficie d’une existence légale jusqu’au jugement de clôture de la liquidation. A ce titre, sans justifier d’aucune cotisation impayée, et en l’absence de dénonciation formalisée, l’assureur est tenu au maintien de la garantie.

La Cour de cassation écartait ici le critère tenant à l’élaboration d’un dispositif financier permettant la mise en œuvre de la portabilité dans le cadre d’une liquidation judiciaire. Elle rappelait que le principe et les modalités du maintien de la couverture mutuelle maintiennent une obligation à la charge de l’assureur et ne précise pas son financement. En redéfinissant le système de financement, elle démontrait que le système de mutualisation du risque invoqué en défense par l’assureur n’est pas un élément à prendre compte.

« Cette analyse se heurte également à la pratique car tous les salariés ne sont pas tenus d'adhérer à l'assurance proposée par leur employeur pour autant que leur conjoint assure une couverture commune dans une autre entreprise. Par ailleurs si dans une entreprise in bonis de 100 personnes, nous avons 99 salariés licenciés qui vont bénéficier de la portabilité, le seul salarié actif restant ne va pas pour autant devoir supporter les cotisations des salariés licenciés. Donc le système de répartition est à prendre dans un contexte global macro-économique et non être restreint à une société adhérente. ».

La Cour de cassation confirmait ici la position d’un certain nombre de juridictions du fond.

En particulier, la Cour d’appel de Colmar s’était bornée, quelques mois avant, à une interprétation stricte du texte comportant des dispositions d’ordre public auxquelles l’assureur ne pouvait déroger par des dispositions contractuelles. Elle établissait qu’en tout état de cause, les dispositions de l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale sont d’ordre public et permettent le bénéfice de la portabilité à l’ensemble des salariés ; exclusion faite du salarié licencié pour faute grave. La précision selon laquelle « les garanties maintenues au bénéfice de l’ancien salarié sont celles en vigueur dans l’entreprise » (article L. 911-8 3°) impose seulement de vérifier que le contrat de prévoyance n’est pas résilié lors de la demande de portabilité. En ce sens, la portabilité n’est pas conditionnée à l’existence d’un dispositif de financement nonobstant les objections et amendement débattus lors des travaux parlementaires (CA Colmar, 25 septembre 2019, n° 16/05113.)

La Cour d’appel de Paris faisait application des mêmes motifs évoqués ci-dessus. Elle ajoutait cependant que les objections et amendements débattus lors des travaux parlementaires et notamment que « l’article 4 de la loi du 14 juin 2013 n’est pas d’ordre public » (CA Paris, 29 septembre 2020, n°19/07502).

Ceci a donc pour effet de faire porter à la charge des assureurs la portabilité du contrat ce qui pouvait occasionner des reproches de la part des assureurs lesquels estimaient que l’obligation de portabilité des droits à la prévoyance est avant toute une obligation patronale, devant rester à la charge de l’employeur.

2/ Solution apportée le 15 février 2024 par la Cour de cassation : clap de fin ?

Dans l’arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation du 15 février 2024 (Cass, 15 février 2024 n°22-16.132), celle-ci rappelle que « les garanties maintenues au bénéfice de l’ancien salarié sont celles en vigueur dans l’entreprise » (article L. 911-8 3°) et imposent de vérifier que « le contrat de prévoyance ou l’adhésion liant l’employeur à l’organisme assureur ne soit pas résilié. ».

Par l’effet de la résiliation du contrat par l’assureur en raison du jugement ordonnant la clôture de la liquidation judiciaire, aucune garantie n’est plus en vigueur dans l’entreprise, empêchant le maintien des garanties antérieures.

Elle reprend, ce faisant, ses décisions antérieures.

Un arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation (Cass civ 2ème, 5 novembre 2020, n°19-17164) constatait l’absence de résiliation du contrat. L’assureur était donc tenu de maintenir le dispositif de portabilité.

Dans un autre arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation, (Cass civ 2ème, 10 mars 2022, n° 20-20898), l’assureur avait résilié le contrat d’assurance. Les coûts engagés par le dispositif de portabilité des garanties après résiliation devaient être supportés par l’employeur. La prolongation pour un an avait donc été souscrite par le liquidateur.

Ce n’est pas pour autant un clap de fin au vu des questions qui restent en suspens à la suite de cette décision.

La première question tend à la prise en charge pécuniaire de la portabilité. Dans quelle mesure cette obligation patronale doit être supportée par les organismes assureurs avant la résiliation du contrat ? Il semble difficile pour une entreprise en liquidation d’en supporter le coût alors qu’elle se trouve dans une situation de difficulté financière.

Comme il a été évoqué dans la décision de la Cour de cassation du 5 novembre 2020 (Cass civ 2ème,  5 novembre 2020, n°19-17.164) le coût de la portabilité restant à la charge des organismes assureurs entrainerait une hausse des cotisations. En conséquence, une surprime visant à compenser le risque de défaillance de l’entreprise sera adopté par l’ensemble des organismes ; coût qui n’est pas encore pris en compte dans la tarification.

Il est également fait état que cette obligation est d’ordre public.

Or, après la résiliation du contrat, le salarié ne bénéficie plus du dispositif de portabilité ; quand bien même la période de maintien de ses droits n’a pas expiré. Un risque d’inégalité de traitement pointe dans cette configuration.

Dans le but de palier d’une part cette surprime, et d’autre part cette inégalité de traitement entre les différents salariés licenciés, l’idée de la création d’un fonds d’indemnisation pour les assureurs confrontés à cette situation peut émerger.

Comme l’avait prévu le gouvernement dans la loi du 14 juin 2013, un rapport devait voir le jour. Il avait pour objet la précision des conditions de mise en œuvre du maintien des garanties dans un telle situation et notamment la création d’un fond d’indemnisation.

Il serait plus que pertinent de réfléchir à cette question et d’enfin aboutir à une solution définitive.

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