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et de la sécurité sociale.
Les heures de délégation utilisées dans la limite du crédit d’heures bénéficient d’une présomption de bonne utilisation obligeant l’employeur à les rémunérer intégralement avant toute contestation. En revanche, les heures de délégation qui excèdent le crédit d’heures ne bénéficient pas du même régime.
Chronique publiée dans l’actualité actuEL RH à lire en cliquant sur le lien ci-après : https://www.actuel-rh.fr/content/pas-de-paiement-des-heures-de-delegation-au-dela-du-credit-dheures-en-labsence-de ou bien à lire ci-après.
La pandémie mondiale a désorganisé les entreprises qui ont dû adapter leur organisation de travail et leur dialogue social. Les missions des représentants du personnel s’en sont vues bouleversées, remettant sur le devant de la scène la question de la prise et du paiement des heures de délégation en cas de dépassement du crédit d’heures mensuel qui leur est accordé.
En effet, l’article R.2314-1 du Code du travail prévoit que le nombre d’heures de délégation initialement octroyé peut être augmenté en cas de « circonstances exceptionnelles ». En l’absence de définition légale de telles circonstances, il revient aux juridictions de déterminer, in concreto, si la situation présentée par le représentant du personnel qui réclame le paiement d’heures de délégation excédentaires a le caractère de « circonstance exceptionnelle » justifiant sa demande.
Plusieurs arrêts rendus récemment nous donnent quelques précisions sur ce que la Chambre Sociale de la Cour de cassation considère être une « circonstance exceptionnelle » permettant à l’élu d’obtenir le paiement d’heures de délégation excédentaires.
Retour sur un régime dérogatoire de droit commun.
La prise et le paiement des heures de délégation peut se révéler être un sujet complexe dans certaines entreprises, surtout en cas de crise nécessitant une intervention renforcée des élus.
En effet, en application d’une règle jurisprudentielle constante[1], l’employeur peut refuser de payer les heures de délégation effectuées par le représentant du personnel au-delà de son crédit d’heures s’il estime qu’elles ne sont pas justifiées par des circonstances exceptionnelles, comme l’y autorisent les dispositions de l’article R.2314-1 du Code du travail citées supra. Il s’agit là d’une règle dérogatoire au principe selon lequel les heures de délégation sont présumées être régulières et ne nécessitent aucune justification a priori pour devoir être rémunérées par l’employeur.
Dans quel cas l’élu peut-il, alors, se prévaloir de telles circonstances ?
Deux arrêts rendus en 1986[2] et 1994[3], repris dans le Q/R du ministère du Travail du 16 janvier 2020, ont précisé que sont exceptionnelles les circonstances qui supposent une activité inhabituelle, nécessitant un surcroît de démarches et d’activités débordant le cadre des tâches coutumières des membres du comité en raison, notamment, de la soudaineté ou de l’urgence des mesures à prendre.
A l’évidence, ces décisions rendues à propos du comité d’entreprise sont applicables au comité social économique et la Cour de cassation affine progressivement sa jurisprudence en la matière.
Dans une affaire récente, un représentant du personnel sollicitait le paiement des heures de délégation effectuées au-delà de son crédit d’heures. Il arguait du fait que les circonstances dans lesquelles il avait utilisé ses heures de délégation, à savoir une surcharge de travail ne lui permettant pas de « toucher » le personnel travaillant de nuit, le week-end et les jours fériés, étaient exceptionnelles.
Par un arrêt du 16 décembre 2020, la Cour de cassation a rejeté sa demande en jugeant que la surcharge de travail et les conditions de travail avancées par le salarié (de surcroît non justifiées) ne pouvait être qualifiées de circonstances exceptionnelles[4].
Dans une deuxième affaire ayant fait l’objet d’une décision rendue le 12 mai 2021, un élu titulaire qui exerçait la fonction de trésorier du comité d’établissement sollicitait le paiement d’heures de délégation ayant dépassé son crédit d’heures en raison de l’absence de deux membres du comité, dont le trésorier adjoint[5].
Bien que le comité soit en l’espèce composé de 7 titulaires et de 2 suppléants, la Cour de cassation a considéré que de telles absences pouvaient être qualifiées de circonstances exceptionnelles suffisantes pour imposer à l’employeur le paiement des heures excédentaires.
Que peut-on retenir de ces deux arrêts ?
Ces deux arrêts sont conformes à la jurisprudence existante et nous rappellent que les circonstances exceptionnelles résultent de problématiques liées à des évènements soudains, inhabituels et, en quelque sorte « imprévisibles ». En effet, si une absence peut remplir ces critères et de manière tout à fait objective (comme dans la seconde affaire), valider la surcharge de travail comme justifiant le dépassement du crédit d’heures (comme cela était demandé dans la première affaire), donnerait à ces circonstances un caractère potentiellement subjectif qui rendrait la contestation par l’employeur très ardue.
Il est donc satisfaisant, pour l’employeur, que la Chambre sociale de la Cour de cassation reste stricte sur les situations permettant de justifier le recours à des heures de délégation excédentaires.
Face à une telle situation, et comme exposé dans les quelques arrêts ci-dessus, chaque partie aura son rôle à jouer.
Au salarié, il reviendra de démontrer en quoi la situation relève d’une circonstance exceptionnelle lui imposant l’utilisation d’heures de délégation au-delà du crédit d’heures.
La charge de la preuve reposant logiquement sur le salarié qui demande à bénéficier d’un régime dérogatoire, l’employeur, de son côté, n’aura pas à rémunérer ces heures s’il estime que la situation qui lui est présentée ne constitue pas une circonstance exceptionnelle.
L’employeur devra donc savoir bien réagir et analyser la situation.
Pour ce faire et adopter la bonne posture, l’employeur pourra tenter de répondre aux questions suivantes :
Les réponses à ces questions permettront à l’employeur d’analyser objectivement la situation et de comprendre rapidement si l’élu est éligible au paiement des heures demandées ou s’il peut ne pas les rémunérer.
Il est ainsi essentiel pour l’employeur de savoir anticiper et bien réagir à ces situations. Il ne fait nul doute que ces deux décisions récentes, et plus généralement la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, seront d’ailleurs utilisées dans le cadre d’éventuels contentieux concernant l’utilisation du crédit d’heures au cours de la crise de la Covid-19.
[1] Pour exemple, Cass. Soc. 8 juillet 2009, n°08-42546
[2] Cass. Soc. 3 juin 1986, n°84-94424
[3] Cass. Soc. 6 juillet 1994, n°93-41705
[4] Cass. Soc. 16 décembre 2020, n°19-19685
[5] Cass. Soc. 12 mai 2021, n°19-21124