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et de la sécurité sociale.
L’emploi de salariés impose à l’employeur de se poser la question du temps de travail en sein de l’entreprise.
Laisser ses salariés travailler 35 heures par semaine ou bien trouver un aménagement du temps de travail plus adapté et plus flexible à son organisation ? demander la réalisation d’heures supplémentaires ou prévoir des forfaits ?
Telles sont les questions que l’employeur doit se poser.
Pour autant, la question du temps de travail est l’une des plus contentieuses en droit français. Aux prud’hommes, les demandes de rappels d’heures supplémentaires ou les remises en cause de forfaits en jours sont quasi systématiques.
C’est pourquoi il est impératif de bien se renseigner et de choisir un aménagement du temps de travail qui soit adapté et cohérent avec son activité, son organisation, mais aussi les dispositions légales et conventionnelles et, enfin, le statut du salarié concerné.
Dans ce cadre, la question du forfait annuel en jours pour avoir un certain attrait dès lors qu’il semble plus flexible qu’un autre type d’aménagement du temps de travail, notamment à l’heure. Ce n’est toutefois pas vraiment le cas et c’est ce que nous détaillons ici !
En droit français, deux catégories de forfait existent :
Le forfait sans référence horaire correspond :
Les conventions de forfait sont à la fois des outils de simplification salariale et d'aménagement du temps de travail.
Dans cet article, nous nous concentrons exclusivement sur le forfait dit « annuel en jours ».
Les entreprises souhaitant mettre en place des conventions de forfait annuel en jours doivent être soumis aux dispositions combinées de deux conventions différentes conclues à deux niveaux différents :
Et
Nous revenons sur chacune de ces obligations.
La mise en place de conventions individuelles de forfait en jours sur l’année est subordonnée à la conclusion d’un accord collectif d’entreprise, d’établissement ou, à défaut, de branche (C. trav., L.3121-63).
La loi du 20 août 2008 a donné la priorité à l'accord d'entreprise ou d'établissement sur l'accord de branche pour la mise en place des forfaits annuels. Ainsi, les dispositions de l'accord d'entreprise ou d'établissement peuvent s'appliquer dans l'entreprise ou l'établissement, peu important les dispositions de l'accord de branche et quelle que soit la date de conclusion de ce dernier.
Selon les textes, plusieurs mentions sont obligatoires (C. trav., art. L. 3121-64)
A défaut de respecter ces mentions obligatoires, la convention ou l’accord collectif n’est pas suffisant et les conventions individuelles de forfait annuel en jours conclues sur leur base sont inopposables au salarié.
Pour recourir au forfait annuel en jours, l'employeur doit obtenir l'accord exprès de chaque salarié concerné.
L'application du forfait jours doit donc obligatoirement figurer dans le contrat de travail ou dans un avenant au contrat (C. trav., art. L. 3121-55 ; Cass. soc., 28 sept. 2010, n° 09-41.624 ; Cass. soc., 8 mars 2012, n° 10-24.305 ; Cass. soc., 19 févr. 2014, n° 12-26.479).
Le contenu de l’avenant ou du contrat ne peut se limiter à une phrase renvoyant à l’accord collectif autorisant la mise en œuvre de telles conventions (Cass. soc., 31 janv. 2012, n°10-17.593).
La conclusion d'une convention de forfait en jours est une modification du contrat. Par conséquent, le refus du salarié de se voir appliquer un forfait annuel en jours n'est pas en soi un motif légitime de licenciement.
Les mentions à intégrer dans vos accords temps de travail ou vos conventions de forfait annuel en jours doivent répondre aux exigences légales et jurisprudentielles.
Il existe deux catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait en jours :
Les dispositions convenues sont strictes. Si l'accord collectif précise que les salariés susceptibles de conclure une convention de forfait en jours doivent bénéficier d'une classification minimale, le salarié qui ne remplit pas cette condition ne peut relever du régime du forfait en jours (Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-14.638 ; Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-20.191).
En pratique, par ailleurs, plusieurs obligations pèsent sur l’employeur en matière de contrôle de la charge de travail des salariés.
Pour les cadres soumis au forfait annuel en ours, la durée du travail doit être décomptée chaque année par récapitulation du nombre de journées ou demi-journées travaillées par chaque salarié concerné (C. trav., art. D. 3171-10). C’est à l’employeur qu’il revient d’effectuer ce suivi.
L’accord collectif doit aussi fixer les modalités selon lesquelles l’employeur assure cette évaluation et ce suivi, ainsi que les conditions d’organisation de l’entretien permettant aux deux parties de communiquer périodiquement sur la charge de travail du salarié et sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle.
En l'absence de dispositions conventionnelles sur le suivi de la charge de travail, un entretien annuel individuel doit être organisé par l'employeur avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année.
Cet entretien porte sur la charge de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle, la vie personnelle et familiale et la rémunération du salarié (C. trav., art. L. 3121-65).
De manière générale, l’employeur est de plus en plus confronté à des demandes liées au respect de son obligation de santé et de sécurité et doit de plus en plus, en contentieux, être en mesure de démontrer qu’il a tout fait pour prendre à la fois les mesures de prévention d’une charge de travail trop importante, et les mesures correctives qui s’imposaient en cas d’alerte du salarié.
Ne pas prendre à la légère les risques liés au forfait annuel en jours
Le forfait annuel en jours est quasi-systématiquement remis en cause en cas de contentieux et il n’est pas rare que les salariés aient gain de cause (parfois en appel), lors que les dossiers de l’employeur ne sont pas complets.
En tant qu’employeurs, vous avez en effet la responsabilité première du suivi de la charge de travail de vos collaborateurs et de la réalisation de l’ensemble des formalités prévues dans le cadre de la mise en place et de la mise en œuvre pratique du forfait annuel en jours. La charge de la preuve de ses horaires de travail par le salarié est relativement restreinte, ce qui rend la tâche encore plus complexe pour l’employeur.
Il est impératif de vous assurer que votre documentation socle et que vos pratiques en matière de durée du travail sont conformes aux exigences de la Cour de cassation afin de limiter les risques de condamnation en cas de contentieux.
En cas de non-respect par l’employeur de ces obligations, le salarié sera considéré comme revenant à la durée légale du travail (35 heures par semaine) et sera en mesure de demander à ce que les heures accomplies au-delà de cette durée soient considérées comme des heures supplémentaires et soient rémunérées comme telles (c’est-à-dire, au taux majoré à 25% ou 50% selon les cas, sauf accord collectif prévoyant un autre taux).
Cette règle ne souffre d’aucune exception, et la Cour de cassation considère que le versement d'un salaire supérieur au minimum conventionnel ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires (Cass. soc., 4 févr. 2015, n° 13-20.891).
Qui plus est, appliquer le forfait jours sans un accord écrit du salarié peut être constitutif du délit de travail dissimulé dans la mesure où le caractère intentionnel de l'absence de mention des heures supplémentaires sur le bulletin de paie résulte de l'absence de cet accord écrit et du fait que le salarié travaille régulièrement un nombre d'heures supérieur à la durée légale (Cass. soc., 27 juin 2012, n° 11-10.491 ; Cass. soc., 27 nov. 2013, n° 12-20.909 ; Cass. soc., 28 févr. 2012, n° 10-27.839). Il en est de même lorsque la convention de forfait jours n'est pas suffisamment précise (Cass. soc., 12 mars 2014, n° 12-29.141).
Enfin, le salarié peut également solliciter le versement de dommages et intérêts au titre de la violation de ses obligations par exemple de son obligation de sécurité en cas d’impact important de cette situation sur l’état de santé du salarié (Cass. soc., 2 mars 2022, n° 20-16.683).
L'employeur, de son côté, peut quand même demander le remboursement des jours de repos supplémentaires accordés en exécution d'une convention nulle (Cass. soc., 4 déc. 2019, n° 18-16.937) ou privée d'effet (Cass. soc. 6 janvier 2021, n°17-28.234).
Le comité social et économique est également concerné par le forfait annuel en jours.
Il est en effet consulté chaque année sur le recours aux conventions de forfait ainsi que sur les modalités de suivi de la charge de travail des salariés dans le cadre de la consultation annuelle obligatoire sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi.
Le non-respect par l'employeur de l'obligation de consulter le comité social et économique sur le recours au forfait jours n'entraîne pas la nullité des conventions de forfait.
L'absence de consultation est constitutive du délit d'entrave.
Un syndicat peut également agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier de recours au forfait en jours. En revanche, il ne peut pas demander la nullité ou l'inopposabilité des conventions individuelles de forfait en jours conclues par les salariés sur la base de l'accord collectif litigieux ou le décompte du temps de travail selon les règles du droit commun (Cass. soc., 15 déc. 2021, n°19-18.226).
Forfait en jours et heures de délégationDepuis la loi Travail du 8 août 2016, un mécanisme de décompte des heures de délégation propre aux représentants du personnel soumis à une convention de forfait en jours s’applique. Sauf accord collectif contraire, le crédit d’heures d’un élu titulaire du CSE disposant d’une convention de forfait en jours sur l’année est regroupé en demi-journées qui se déduiront du nombre annuel de jours travaillés fixé dans la convention individuelle de forfait (C. trav. art. R. 2315-3).