Le remboursement des jours de RTT par le salarié s’impose en cas de remise en cause de la convention de forfait en jours

Bien connu des entreprises, le forfait en jours génère un contentieux considérable qui peut s’avérer coûteux. Le 6 janvier 2020, la Cour de cassation a rendu un arrêt qui apporte une solution inédite et bienvenue pour les employeurs.

Chronique publiée dans l’actualité actuEL RH à lire en cliquant sur le lien ci-après : https://www.actuel-rh.fr/content/le-remboursement-des-jours-de-rtt-par-le-salarie-simpose-en-cas-de-remise-en-cause-de-la ou bien à lire ci-après.

La multitude de dispositions légales encadrant sa mise en place, combinées à une jurisprudence sévère à l’égard des employeurs, ont contribué à faire de la remise en cause du forfait en jours une demande phare des contentieux prud’homaux.

Chaque contentieux impliquant un salarié en forfait en jours a, à l’heure actuelle, pour corollaire une demande de rappel d’heures supplémentaires : les sommes réclamées atteignent le plus souvent des montants élevés et les chances pour l’employeur de s’en sortir sont minces.

Le 6 janvier 2021, la Cour de cassation est venue redonner un peu de souffle aux employeurs en apportant une solution inédite.

Explications.

1. Les enjeux du contentieux relatif au forfait en jours

La mise en œuvre du forfait annuel en jours suppose le respect d’un certain nombre de conditions prévues par le Code du travail aux articles L.3121-53 et suivants du code du travail (articles L.3121-43 et suivants avant le 10 août 2016).

Tout d’abord, l’employeur doit s’assurer que ce dispositif est prévu :

  • d’une part par un accord collectif d’entreprise ou d’établissement (ou, à défaut, une convention ou un accord de branche),
  • et d’autre part par une convention individuelle de forfait, annexée le plus souvent dans le contrat de travail ou dans un avenant à celui-ci.

Les mentions obligatoires qui y sont intégrées visent notamment à garantir la protection de la sécurité et de la santé du salarié.

Ensuite, l’employeur doit s’assurer de la charge de travail et veiller à la protection de la santé et de la sécurité des salariés concernés, par la mise en place d’un certain nombre de garde-fous, notamment via :

  • un contrôle des jours travaillés et non travaillés (la notion d’heures de travail ne s’appliquant pas en cas de forfait en jours),
  • la vérification de la prise effective des temps de repos quotidiens et hebdomadaires,
  • et l’organisation d’un entretien annuel destiné à faire le point sur les conditions de réalisation du forfait.

Une convention de forfait mise en place en violation des dispositions légales encourt la nullité. Si l’accord collectif contient toutes les garanties requises, mais que l’employeur ne les respecte pas, alors la convention de forfait est considérée comme étant sans effet.

En cas de contentieux, quelle que soit l’hypothèse (nullité ou absence d’effet), la sanction tombe : le salarié doit être considéré comme ayant été soumis au régime légal de durée du travail (35 heures hebdomadaires), ce qui lui permet de solliciter – entre autres – un rappel d’heures supplémentaires pour toutes les heures de travail réalisées au-delà de cette durée, et ce, sur les trois dernières années.

Dans le cadre d’un litige, le régime de la preuve n’incombe pas spécialement à l’une des parties. Néanmoins, si le salarié doit pouvoir fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande, l’employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

En pratique, cela se résout le plus souvent par la production, par le salarié, de plannings, calendriers, tableaux de calcul des heures supplémentaires, voire des emails, de nature à démontrer les horaires de travail.

L’employeur, en revanche, s’il n’a pas mis en place de système de suivi précis du temps de travail, devient, le plus souvent, tributaire des éléments transmis par le salarié. Il rencontre alors de vraies difficultés à contredire le salarié et à réduire les montants réclamés.

Les enjeux financiers pouvant vite devenir significatifs et le travail d’analyse pharamineux, ce type de contentieux fait souvent frémir les employeurs.

2. Le contexte de l’affaire

Dans l’affaire concernée par l’arrêt rendu le 6 janvier dernier, un salarié cadre avait été soumis à une convention individuelle de forfait annuel en jours dans le cadre d’une relation de travail qui avait pris fin par un licenciement.

Ayant engagée une instance à l’encontre de son ancien employeur, il reprochait en particulier l’absence de contrôle du temps de travail et d’entretien relatif à la charge de travail (prescriptions issues de la convention de branche applicable), et sollicitait un rappel d’heures supplémentaires à ce titre.

De son côté, l’employeur sollicitait, à titre reconventionnel, le remboursement des jours de repos (intitulés jours RTT ou JRTT dans la décision et que nous reprenons sous ce terme pour une meilleure compréhension) qu’il avait octroyés au salarié dans le cadre de l’application de la convention de forfait en jours.

Tirant les conséquences du non-respect des dispositions conventionnelles, la cour d’appel de Rennes avait considéré que la convention de forfait en jours devait être privée d’effet, ce qui justifiait le paiement de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires (outre les congés payés afférents).

S’agissant de la demande de l’employeur, la cour d’appel de Rennes avait retenu que la convention de forfait en jours n’étant pas annulée mais seulement privée d’effet, elle ne pouvait permettre de priver le salarié du bénéfice de ses jours de RTT.

L’employeur a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt.

3. Le remboursement des jours de RTT : un raisonnement juridique abouti

Sur le point objet du pourvoi, la Cour de cassation ne retient pas l’analyse de la cour d’appel de Rennes.

Dans sa décision du 6 janvier 2021, la Chambre sociale indique que, quand bien même la convention avait été privée d’effet et non pas annulée, le paiement des jours de RTT accordés en exécution de la convention était devenu indu pendant la durée de suspension de la convention individuelle de forfait.

Au visa des dispositions de l’article 1376 du code civil (dans sa rédaction antérieure à celle de l’ordonnance du 10 février 2016), selon lesquelles celui qui reçoit un indu doit le restituer, la Cour de cassation considère que les jours de RTT, devenus indus, doivent ainsi être « remboursés » à l’employeur.

Ce faisant, elle retient l’argumentaire développé par l’employeur aux termes duquel les jours de RTT constituent une contrepartie pure et simple de la forfaitisation du temps de travail, de sorte qu’ils perdent tout objet si le forfait est supprimé (par l’effet de la nullité ou seulement par privation d’effet).

A notre connaissance, c’est la première fois que la Cour de cassation se prononce en ce sens dans le cadre d’un contentieux relatif au forfait en jours.

Des prémices de cette évolution avaient pu être relevés dans des précédentes décisions.

En 2019, la Cour de cassation avait admis, sous le visa du même article 1376 du Code civil, la possibilité pour l’employeur de demander le « remboursement » des jours de repos accordés aux salariés en contrepartie d’une durée de travail supérieure à la durée légale. Ces arrêts avaient été néanmoins plus discrets, dans la mesure où ils avaient été rendus à propos d’une modalité d’aménagement du temps de travail spécifique à la convention collective Syntec, relevant d’un forfait en heures et non en jours (Cass Soc. 4 décembre 2019 n°18-16942 ; Cass. Soc. 13 mars 2019, n°18-12.926 et autres).

Concernant le forfait en jours, cette solution est la bienvenue et démontre une logique implacable.

En effet, dans les contentieux que nous connaissions jusqu’à présent, lorsque le salarié avait obtenu la remise en cause d’une convention de forfait en jours, il bénéficiait du rappel de salaire au titre des heures supplémentaires sans restituer les jours de repos dont il avait bénéficié. Il était alors doublement gagnant :

  • il avait bénéficié, pendant la période d’exécution de la convention, d’une dizaine de jours de repos supplémentaires par an (selon le nombre de jours de travail prévus à la convention),
  • il obtenait, en justice, un rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires calculé sur la base de l’ensemble des heures de travail réalisées au-delà de 35 heures par semaine, sur cette même période.

Avec une prescription de 3 ans, le nombre de jours indument octroyés par l’employeur n’était pas négligeable, et rien ne justifiait un tel raisonnement.

Par cet arrêt, la Cour de cassation explique que le salarié ne peut pas solliciter à la fois la remise en cause de sa convention de forfait en jours en demandant un grand nombre d’heures supplémentaires, tout en ayant bénéficié des avantages de cette convention par l’octroi de jours de repos supplémentaires.

Désormais, si le salarié souhaite se voir appliquer rétroactivement la durée légale du travail, il ne pourra plus légitimement conserver les jours de repos supplémentaires dont il a bénéficié. Il s’agit d’une solution parfaitement logique :  si le salarié avait travaillé « aux 35 heures » pendant la période concernée, il n’aurait pas bénéficié des jours de repos supplémentaires prévus par la convention de forfait.

Dans l’affaire du 6 janvier, l’on retiendra d’ailleurs la tentative de l’employeur (à tout le moins en cause d’appel), d’obtenir le même résultat concernant la majoration de salaire liée à l’application du forfait en jours. Il doit en effet être rappelé qu’en pratique, la mise en place d’un forfait en jours emporte le plus souvent une augmentation de la rémunération du salarié. La rémunération étant toutefois prévue par avenant et non strictement liée à l’application du forfait en jours, cet argument avait peu de chances de prospérer. L’employeur n’a d’ailleurs pas formé de pourvoi à ce sujet ce qui aurait pu, donner lieu à une nouvelle jurisprudence.

C’est donc une solution parfaitement cohérente qui est proposée par la Cour de cassation.

A n’en pas douter, elle réduira fortement l’intérêt pour les salariés d’engager ce type de demande ou, en tout état de cause, donnera un peu de souffle à des employeurs qui pourront ainsi tenter de réduire significativement le quantum des condamnations.

Source : Cass. Soc. 6 janvier 2021, n°17-28.234.

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