Comment mettre en place et respecter le droit à la déconnexion des salariés ?

Institué en 2016, le droit à la déconnexion ne fait l’objet d’aucune définition légale, aussi bien dans la législation française qu’à l’échelle européenne. Il peut toutefois être défini comme le droit pour le collaborateur de ne pas être connecté à un outil numérique professionnel ou non pendant ses temps de repos et de congés. En sus, l’on considère qu’il s’agit également du droit pour le salarié à ne pas être contacté à titre professionnel sur les outils personnels.

Le droit à la déconnexion est un sujet d’actualité, qui vise à améliorer l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle des salariés dans un objectif désormais régulièrement rappelé par le Conseil Constitutionnel de protection de leur santé.

Dans notre société où les outils numériques sont omniprésents, il est important de mettre en place des périodes de déconnexion pour plusieurs raisons ; d’une part, afin de limiter les contentieux qui seraient engagés par des salariés mécontents de ne pas avoir pu bénéficier de telles mesures (ou qui tenteraient d’obtenir, tout simplement, des dommages et intérêts sur ce fondement) ; d’autre part, car l’effectivité de ce droit peut devenir un argument à mettre en avant pendant les entretiens de recrutement face à une nouvelle génération de salariés, plus soucieux de leur qualité de vie au travail et en dehors.

Ainsi, il importe pour l’employeur de savoir comment mettre en place le droit à la déconnexion et le rendre effectif ?

Quels sont les enjeux du droit à la déconnexion ?

Le droit à la déconnexion s’applique pendant les périodes de repos, les congés et les suspensions du contrat de travail.

Le droit à la déconnexion présente divers avantages aussi bien pour les salariés que pour l’employeur.

Grâce au droit à la déconnexion, tout d’abord, la durée du travail est respectée ; l’attractivité de l’entreprise est souvent plus forte dans une telle configuration et les temps de repos et de congés sont effectifs tout comme la protection de la vie privée et familiale du salarié.

Ensuite, par l’application du droit à la déconnexion, l’efficacité du collaborateur est renforcée, la qualité de vie au travail optimisée et surtout, les risques d’absences, de burn-out ou d’épuisement professionnel sont de facto limités.

Un salarié qui bénéficie de son droit à la déconnexion est en principe moins stressé et plus efficace au travail.

L’obligation de définir un cadre dans l’entreprise

Si le droit à la déconnexion n’est pas prévu par le code du travail, il entre toutefois dans les thèmes de négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail pour les employeurs qui sont soumis à de telles dispositions. A défaut d’accord, une charte sur le droit à la déconnexion doit être élaborée. De plus, toute entreprise qui applique le forfait annuel en jours doit prévoir les modalités d’exercice du droit à la déconnexion quel que soit le support choisi (accord collectif ou charte).

Le droit à la déconnexion s’applique tout aussi bien aux salariés effectuant leur prestation de travail sur le lieu de travail qu’aux salariés en télétravail.

En termes de contentieux, l’accord collectif ou la charte précise les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail et détermine les plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le travailleur.

Le contrôle du temps de travail du salarié

Le contrôle du temps de travail par l’employeur est le corollaire du droit à la déconnexion. L’employeur y est assujetti de manière générale afin de garantir le respect des durées maximales de travail.

A noter :

Tout dispositif de contrôle du temps de travail doit impérativement être mis en place conformément aux exigences légales et jurisprudentielles. Ainsi, doit-il respecter les libertés des salariés (dans le sens où il ne doit pas être trop intrusif) et faire l’objet d’une information du salarié et d’une consultation du comité social et économique (CSE) s’il existe.

Attention ! Aucun dispositif ne doit conduire à une surveillance constante et permanente de l’activité du salarié, en particulier du télétravailleur, sauf cas exceptionnels justifiés au regard de la nature de la tâche. A titre d’exemples, les keyloggers permettant d’enregistrer à distance toutes les actions accomplies sur un ordinateur sont illicites ; en revanche, il est possible de demander au salarié d’établir des comptes-rendus réguliers sur le travail effectué.

L’employeur peut choisir l’un des procédés suivants à savoir :

  • Enregistrer lui-même les horaires effectués par chaque salarié ;
  • Faire enregistrer leurs horaires par les salariés eux-mêmes (format auto déclaratif) ;
  • Afficher un horaire collectif préétabli (sous certaines conditions) ;
  • Définir pour chaque salarié un horaire individualisé.

En cas de non-respect des temps de travail par le salarié et donc, à l’inverse, de non-respect de son « droit à la déconnexion », ce dernier peut faire l’objet d’un rappel à l’ordre voir même être sanctionné. Effectivement, si le droit à la déconnexion doit être mis en place par l’employeur, il implique aussi un « devoir » de déconnexion du salarié qui peut d’ailleurs être rappelé dans l’accord ou la charte prévue à cet effet. (Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 25 avril 2023, RG nº 21/02205)

La bonne tenue des documents de contrôle du temps de travail est indispensable pour l’employeur qui doit les produire, à titre de preuve, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées.

Etat de la jurisprudence en matière de droit à la déconnexion

Du fait de son introduction récente dans le Code du travail, les jurisprudences sont relativement rares sur le sujet. L’on peut également constater que, le plus souvent, le non-respect du droit à la déconnexion vient au soutien d’une demande plus générale de réparation au titre de l’obligation de santé et de sécurité de l’employeur ; et au soutien d’une demande de remise en cause du forfait annuel en jours.

 

Par exemple, dans une affaire tranchée par la Cour d’appel d’Angers, il a été considéré que l’absence de définition des modalités d’exercice du droit à la déconnexion peut être sanctionnée parmi d’autres faits pour conclure à la nullité de la convention individuelle de forfait en jours. (Cour d’appel d’Angers, 10 février 2022,n°19/00630)

 

Le salarié qui arrive à démontrer qu’il n’a pas pu bénéficier effectivement de ses congés et qu’il était tenu de rester disponible pour son employeur pendant ces périodes obtient aussi la remise en cause de son forfait annuel en jours. (Cour d’appel de Paris, 2 novembre 2021, n°19/08065)

En revanche, sur ces questions, la charge de la preuve pèse aussi sur le salarié. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a-t-elle pu juger que le salarié doit rapporter la preuve d’un préjudice distinct du non-respect de l’obligation de santé et de sécurité pour obtenir des dommages et intérêts uniquement au titre du non-respect du droit à la déconnexion. (Cour d’appel de Paris, 15 février 2023, n°19/03551)

De la même manière, les juges peuvent être amenés à débouter un salarié de sa demande, lorsqu’il a répondu à des messages professionnels non urgents en dehors de ses heures de travail alors qu’il était incité régulièrement à se conformer aux consignes en la matière et qu’il n’alléguait pas avoir été contacté téléphoniquement pour son travail en dehors de ses horaires professionnels. (Cour d’appel de Besançon, 25 avril 2023, n°21/02205)

Comment mettre en œuvre effectivement le droit à la déconnexion ?

Le droit à la déconnexion peut être mis en place par le biais de différents dispositifs : par un accord collectif d’entreprise relatif au « forfait annuel en jours » ; par un accord relatif à la qualité de vie et aux conditions de travail ; par un accord « ad hoc » ou enfin par une charte de l’employeur.

Pour plus d’effectivité et si le souhait de l’entreprise est d’être en mesure de sanctionner l’éventuel non-respect du droit à la déconnexion, celui-ci peut être inscrit dans le règlement intérieur.

Dans le document choisi, l’entreprise va devoir exposer les différentes pratiques et dispositifs mis en œuvre dans l’entreprise pour faire respecter le droit à la déconnexion ainsi que les mesures prises en cas de non-respect par un collaborateur de son droit à la déconnexion et / au droit de ses collègues.

En cas de difficultés d’un collaborateur à respecter le droit à la déconnexion, il est en effet préférable de ne pas laisser la situation s’enliser pour limiter les risques de contentieux. Ainsi, il peut être nécessaire de prévoir un entretien dans l’objectif d’analyser les causes de la situation et d’émettre des propositions de solutions ou encore d’aider à mettre en pratique les outils.

L’ensemble du dispositif permettra de répondre efficacement à de telles problématiques pour réduire le risque de contentieux.

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